Quelques chiffres sur les femmes exilées
Selon les Nations unies, les femmes représentaient 50,5 % des personnes déplacées dans le monde en 2020. En France, les femmes étrangères sont plus nombreuses que les hommes depuis 2008 (51,5 %). La migration des femmes n’est pas un phénomène nouveau, mais elles sont de plus en plus nombreuses à prendre seules les routes de l’exil.
En 2020, un tiers des demandes d’asile enregistrées à l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) ont été déposées par des femmes. 55 % d’entre elles étaient originaires d’Afrique et 24 % d’Europe. De nombreuses femmes exilées viennent également d’Asie et du continent américain.
Les femmes inscrites aux cours de l’École Bisan viennent de tous les horizons : Tibet, Géorgie, Nigéria, Haïti, Iran, Ethiopie, Turquie, Somalie, Maroc, Arménie, Arabie Saoudite, Afghanistan, Guinée, Bangladesh, Sri Lanka, Vietnam, Venezuela, Pérou … Elles ont en commun leur envie d’apprendre le français ou de perfectionner leur maîtrise de la langue pour trouver un travail, reprendre leurs études ou tout simplement pour communiquer plus facilement au quotidien.
Dans leur pays d’origine, elles étaient commerçantes, artisanes, ingénieures, informaticiennes, journalistes, restauratrices, etc. Certaines ont fait des études supérieures, d’autres ne sont jamais allées à l’école. Elles ont quitté leur pays pour des raisons politiques, économiques ou familiales, pour faire soigner un enfant ou pour rejoindre un conjoint. La plupart d’entre elles ont subi des violences de genre, que ce soit dans leur pays d’origine, durant leur parcours d’exil et/ou à leur arrivée en France.
Les violences de genre, ou violences basées sur le genre, sont des violences ciblant une personne ou un groupe de personnes en raison de leur identité de genre. Dans la majeure partie des cas, ce sont les femmes qui en sont victimes, mais ce terme est également utilisé pour désigner les violences subies par les personnes LGBTQI+.
Selon la Déclaration des Nations Unies sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, celle-ci regroupe « tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ».
Ces violences de genre sont souvent à l’origine même de l’exil des femmes qui fréquentent les cours de l’École Bisan. Elles sont de nouveau vécues sur les routes de la migration, et se poursuivent parfois à leur arrivée en France. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ces violences prennent différentes formes : agressions sexuelles, viols, grossesses et mariages forcés, enlèvements, mutilations sexuelles féminines, proxénétisme, violences conjugales ou intra-familiales, traite des êtres humains, persécutions politiques, exploitation sexuelle pour franchir les différentes étapes de la migration ou pour accéder, en France, « à une assistance et à des ressources ».
Au 31 décembre 2022, 17 308 enfants mineures bénéficiaient d’une protection internationale liée à leur exposition à un risque de mutilation sexuelle (rapport d’activité OFPRA 2022). En France, divers facteurs surexposent les femmes exilées aux violences de genre. Parmi ces facteurs, on trouve notamment l’absence d’hébergement ou des modes d’hébergement précaires, le manque de ressources financières mais aussi l’isolement lié au déracinement, aggravé par les difficultés liées à la langue française. Ainsi, une femme exilée victime de violences conjugales en France sera extrêmement vulnérable si elle ne connaît personne d’autre que son mari et ne maîtrise pas le français.
Les difficultés d'accès des femmes exilées aux cours de français
L'absence de mode de garde pour les enfants
Si l’accès aux cours de français est difficile pour toutes les personnes exilées, les femmes se heurtent à des obstacles supplémentaires, comme l’absence de mode de garde pour leurs enfants. En effet, pour des raisons économiques, les familles exilées accèdent plus difficilement à un mode de garde lorsque leurs enfants ne sont pas scolarisés, soit parce qu’il s’agit d’enfants en bas âge, soit parce que ces enfants sont en situation de handicap ou atteints d’une maladie chronique qui ne permet pas leur scolarisation à temps plein.
Les crèches à vocation d’insertion professionnelle (VIP), qui réservent des places aux enfants de parents en recherche d’emploi, offrent une solution partielle aux familles résidant légalement sur le territoire. Mais la demande est supérieure à l’offre et les plages horaires restent inadaptées aux personnes travaillant en horaires décalés. Or, certains secteurs professionnels, comme l’entretien ou les services à la personne, qui comptent parmi leurs employés de nombreuses personnes exilées, imposent des horaires atypiques non compatibles avec les structures d’accueil des jeunes enfants.
En l’absence de mode de garde, la charge des enfants repose majoritairement sur les femmes exilées, qui se retrouvent de fait cantonnées à l’espace domestique. Dans les couples hétérosexuels, c’est généralement le mari qui investit la sphère professionnelle car c’est souvent à lui, pour des raisons socioculturelles, que revient la responsabilité de subvenir aux besoins du foyer, ainsi qu’à ceux de la famille restée dans le pays d’origine. L’apprentissage du français est donc considéré comme prioritaire pour les hommes, puisqu’il leur est indispensable pour trouver un emploi. Dès lors, les besoins des femmes en termes de formation linguistique sont relégués au second plan, ce qui renforce leur isolement et ralentit considérablement, voire empêche totalement, leur insertion socioprofessionnelle.
Les freins à l'insertion socioprofessionnelle des femmes exilées
Les mères exilées élevant seules leurs enfants ne bénéficient bien souvent d’aucun relai qui leur permettrait de se rendre dans des associations dispensant des cours de français gratuits. Déjà victimes d’une importante discrimination sur le marché du travail, ces femmes, qui pour certaines sont diplômées et qualifiées dans leur pays d’origine, n’ont d’autre choix, faute de maîtriser le français, que d’accepter des emplois précaires. Elles se retrouvent alors particulièrement exposées aux risques d’exploitation et de violences de genre, ce qui peut également être le cas au sein de leur foyer.
Les mamans peuvent venir assister aux cours de l'École Bisan accompagnées de leurs enfants. Ils sont gardés en autogestion.
Or, la maîtrise du français est indispensable pour créer du lien social, se former et trouver un emploi correspondant aux qualifications des personnes. De nombreuses femmes qui fréquentent les cours de l’École Bisan ont suivi des études supérieures, mais sont contraintes, faute de formation linguistique suffisante, d’occuper des emplois sous-qualifiés.
Pour répondre aux besoins spécifiques des femmes exilées en termes d’accès aux formations linguistiques, l’École Bisan a pour ambition d’accueillir aussi bien les mères que les enfants qui les accompagnent.
À terme, l’objectif est de créer un tiers-lieu structuré en deux pôles principaux : la formation linguistique des femmes, qu’elles soient mères ou non, et l’accueil des enfants. Le tiers-lieu offrirait également un espace de sociabilisation permettant les rencontres interculturelles et favorisant l’intégration sociale des femmes exilées.
Prendre part au fonctionnement d’une structure – via l’organisation d’animations, de rencontres, d’ateliers divers – qui leur soit dédiée permettrait à ces femmes de retrouver un sentiment d’utilité qu’elles disent souvent avoir perdu, mais aussi un sentiment d’appartenance à leur ville et à leur pays d’accueil. Ces femmes sont également très demandeuses de rencontres avec les habitantes et habitants de leur ville, et regrettent de ne pas avoir plus souvent l’occasion de « parler français avec des Français ».
Un lieu qui aide les femmes exilées à tisser du lien, à faire société, tel est le projet de l’École Bisan.
L'École Bisan, une association d'intérêt général
L’écart est de 21 points entre les femmes originaires de pays non-européens et les femmes non-immigrées, et de 26,8 points entre les femmes originaires du Maghreb, de l’Afrique Sahélienne, de Turquie et de l’Asie du Sud-est et les hommes issus de ces mêmes régions du monde. *Liebig, T. et K. R. Tronstad, Triple Disadvantage? A First Overview of the Integration of Refugee Women, OCDE)
D’après les chiffres de l'édition 2023 des Perspectives des migrations internationales, dans les pays de l’OCDE, « la moitié environ des immigrées ayant de jeunes enfants (0-4 ans) occupent un emploi, soit un écart de 20 points de pourcentage par rapport à leurs homologues nées dans le pays.
L’écart est le plus marqué en Allemagne, en Belgique, en France et en Slovénie, avec plus de 30 points de pourcentage […] L’emploi des mères immigrées varie davantage selon l’âge et le nombre d’enfants que l’emploi des mères nées dans le pays, ce qui donne à penser que les contraintes liées à la garde des enfants sont plus importantes pour les premières. »
Selon une étude* de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les femmes réfugiées s’insèrent plus lentement que les hommes dans le marché du travail en Europe. En France, leur taux d’emploi est plus faible que celui des hommes et celui des femmes non-immigrées.